UN MIRACLE A JARJAYES

par | Déc 18, 2021 | HISTOIRE DE JARJAYES, MÉMOIRE DES HOMMES | 1 commentaire

Quand on parle miracle dans notre région, on pense immédiatement à Notre Dame du Laus et aux apparitions observées par Benoîte Rencurel, la bergère du Laus,  cette paysanne illettrée, qui fut pendant 54 ans témoin d’apparitions de la vierge Marie au Laus .

On sait que Benoîte Rencurel est née à St-Étienne-d’Avançon le 27 septembre 1647 et qu’elle est morte au Laus, le 28 décembre 1718, «en odeur de sainteté», ainsi qu’on peut le lire sur son tombeau.

Or, parmi les plus anciens et les plus authentiques documents qui concernent la Bergère, il faut mettre au premier rang la procédure canonique qui fut faite, à Gap, deux ans après sa mort, à l’occasion de la guérison de Lucrèce Souchon des Praux (ou des Préaux), qui fut l’objet d’une guérison miraculeuse dans le château de Jarjayes, le 25 septembre 1720, par l’intercession de Benoîte Rencurel et l’invocation de Notre-Dame du Laus.

Les extraits qui suivent sont pour l’essentiel, tirés des deux ouvrages suivants :
Information canonique sur la guérison miraculeuse de Lucrèce Souchon des Praux par l’intermédiaire de Benoîte Rencurel, bergère du Laus , publié par l’abbé Paul Guillaume, archiviste ds Hautes-Alpes, Chanoine honoraire de Gap (1842-1914)
Notre-Dame Du Laus et la Vénérable Soeur Benoite (d’après les manuscrits authentiques conservés au pieux sanctuaire). Maria Sancta Lacensis (1895).
et du Site Internet: https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/nddulaus
L’orthographe des mots cités est celle des textes d’origine.

Notre histoire se passe en 1720 soit 2 ans après la mort de Benoîte.

1720 est une funeste année pour la Provence. En effet, le Grand-Saint-Antoine, un bateau en provenance du Moyen-Orient accoste à Marseille le 25 mai 1720 et la Peste se propage progressivement dans la ville. Celle-ci va faire des ravages et décimer environ 40 000 personnes dans la ville soit la moitié des habitants de l’époque. Elle se répandra rapidement dans toute la Provence, où elle fera, entre 1720 et 1722, entre 90 000 et 120 000 victimes sur une population de 400 000 habitants environ.

Mademoiselle Lucrèce Souchon-Despréaux, âgée de 26 ans (née à Gap, le 26 octobre 1694), fille de Claude Souchon-Despréaux, seigneur des Praux ancien Premier président au Bureau des Finances de Provence, « était religieuse, du  nom du Saint-Esprit. en même temps que sa soeur, du nom de Sainte-Barbe, au monastère de Sainte-Ursule, à Aix-en-Provence ».

Sa santé, plusieurs fois éprouvée par de cruelles maladies, se trouva complètement ruinée en mars 1720. Une fièvre continue, accompagnée d’accès violents et fréquemment renouvelés, affligea la jeune religieuse. Survinrent ensuite des vomissements continuels qui ébranlèrent tout l’organisme et produisirent d’abord des convulsions et ensuite une paralysie qui affecta la tête, la langue et tout le côté droit du corps, de sorte que la malade ne pouvait ni parler, ni se servir de son bras droit et de sa jambe droite. De plus, lorsque ces membres malades n’étaient pas solidement appuyés, ils étaient saisis de tremblements convulsifs qui produisaient en ceux qui les voyaient une sympathique compassion pour la pauvre infirme (Notre-Dame du Laus et la Vénérable Soeur Benoite-Maria Sancta Lacensis 1895).

La peste qui sévissait à Marseille menaçait la ville d’Aix.

Sœur Marie de l’Incarnation, supérieure du monastère de Ste-Ursule d’Aix, âgée d’environ 60 années, avait usé de plusieurs et différents remèdes, sans succès, et les meilleurs médecins d’Aix avaient renoncé à la guérir.

A la fin du mois d’aôut 1720, la contagion commençait à se répandre dans la ville. Le président Despréaux, afin de soustraire sa famille aux atteintes du terrible fléau, se décida à quitter la Provence pour venir habiter Gap ou l’une de ses terres. Il obtint, à cet effet, que ses filles fussent autorisées à l’accompagner dans les Alpes.

« On fit sortir Lucrèce de ce monastère, pour éprouver si le séjour de Gap, son pays natal, et un changement d’air pourroient lui redonner l’usage de ses membres perclus, et la remettre en estat de servir la communauté ; elle sortit de ce monastère au commencement de septembre, accompagnée de la sœur Henriète de Ste-Barbe, sa sœur, aussi religieuse de ce monastère ; le jour même que ladite malade sortit du couvent, elle estoit dans un estat si pitoyable qu’on feut obligé de la porter au bras, despuis son lit jusqu’à la voiture, et de là l’y coucher, ne pouvant donner à son corps une autre situation, en telle sorte, que les autres religieuses de la communauté ne croyoient pas qu’elle fût en estat de soutenir la fatigue du voyage et de vivre jusqu’à son arrivée à Gap ».

Ils quittèrent le monastère le 2 septembre 1720.

« Elle voyagea en chaise roulante, dans laquelle on lui avoit préparé une espèce de lit, avec des carreaux sur lesquels elle étoit couchée et apuiée du cotté droit, parce que, dès que ce costé-là n’estoit pas apuié, elle avoit un tramblement universel de toute ceste partie de son corps, et elle avoit sa teste couchée sur l’estraspontin.
Elle était tellement faible qu’elle a dû faire quelques séjours en chemin pour se reposer et qu’elle n’est venue qu’à petites journées, ayant resté quatre jours en chemin, pour venir de la ville d’Aix en celle-ci, où l’on peut venir dans trois jours, mesme commodément ». (Information canonique sur la guérison miraculeuse de Lucrèce Souchon des Praux par l’intermédiaire de Benoîte Rencurel, bergère du Laus, publié par l’abbé Paul Guillaume, archiviste ds Hautes-Alpes, Chanoine honoraire de Gap – 1842-1914).

Arrivés à Gap le 6 septembre, le convoi reçut ordre, de la part des édiles, de ne pas s’y arrêter et cela, à la suite des ordres donnés, dès le 11 août 1720, par la municipalité, aux habitants de Gap « de ne réfugier aucune personne venant de Marseille ou de son terroir, pour estre soubçonnés de la peste » (Arch. com. de Gap, n° 494, fo 81 vo).

On amena donc la malade au château de Jarjayes (le château actuel), chez sa sœur, Anne, femme d’Henri de Montauban, seigneur de Jarjayes (Henri de Montauban de Flotte du Villar, seigneur de Jarjayes, marié, le 22 décembre 1715 avec Anne Souchon Des Préaux. Il abjura le protestantisme. Mourut sans postérité et fit héritier de ses biens Scipion de Montauban du Villar, son cousin).

« La pauvre infirme, qui avait déjà mis quatre jours pour venir d’Aix en chaise roulante, fut transportée à Jarjayes en chaise à porteurs. Placée sur le siège, elle ne put s’y tenir longtemps, et bientôt elle tomba au fond. Les porteurs, entendant le bruit de sa chute, crurent qu’elle était morte et ne se mirent pas en peine de la relever. Ils ne prirent même plus aucune précaution pour lui faire éviter les plus rudes secousses. Pressés d’arriver, ils franchissaient en sautant les fossés, les ruisseaux , les broussailles et tous les obstacles qui pouvaient les retarder. La pauvre malade, roulée comme un peloton, arriva au château plus morte que vive ».

Ce récit permet d’imaginer l’état du chemin qui reliait alors Gap à Jarjayes.

Lucrèce arriva enfin au Château de Jarjayes le 7 septembre 1720.

Pendant quinze jours elle resta dans cet état; à la fin, elle fit comprendre par signes à sa soeur qu’on fit célébrer au Laus une neuvaine de messes à son intention. Le 24 septembre 1720, soeur Sainte-Barbe, accompagnée de son frère, messire Pierre Souchon-Despréaux, conseiller au parlement de Provence, de sa belle-soeur et de quelques autres personnes, franchit le col du Tourond et se rendit au Laus, « demanda une neuvaine de messes, se confessa, communia, et promit, si sa soeur guérissait, de réciter tous les jours les litanies de la Sainte Vierge et de faire toutes les années, à pareil jour, le pèlerinage du Laus. Puis elle fut tout de suite au tombeau de la soeur Benoîte, prier pour la guérison de sa sœur Lucrèce ».

Avant de partir, elle prit de l’huile de la lampe, et elle s’en retourna pleine de confiance. Elle était si sûre d’obtenir la grâce qu’elle avait demandée, qu’elle s’attendait, en rentrant au château, à rencontrer la malade venant au-devant d’elle. Il n’en fut rien, mais cependant elle ne désespéra pas. Vers les neuf heures, elle oignit de l’huile du sanctuaire toutes les parties malades.»

Le lendemain, Lucrèce commença progressivement à retrouver l’usage de la parole et de tous ses membres.

« L’infirme descendit de sa couche et s’habilla avec autant d’assurance et de prestesse que si elle n’avait jamais été malade; puis elle se mit à genoux pour remercier Dieu de la grâce qu’il venait de lui faire ».

Le président informa aussitôt le curé de la paroisse de Jarjayes, Louis Tourniaire, de l’évènement extraordinaire qui venait de se passer, en le priant de se rendre à la chapelle du château pour rendre grâces à Dieu. Le pasteur s’empressa de se rendre auprès de l’heureuse famille. Il félicita la miraculée, prit part à la joie de ses parents et présida aux prières de la reconnaissance.

Trois jours après, elle allait au Laus porter sa reconnaissance à la bonne Mère et à soeur Benoîte.

Le procès-verbal de cette guérison miraculeuse a été dressé par l’ordre de Mgr de Malissoles, évêque de Gap, et l’original en est conservé aux archives départementales de Gap.

« En reconnaissance de la faveur qui lui avait été accordée, Mademoiselle Despréaux broda de ses mains un ex-voto quelle déposa devant d’autel, et qu’on voit encore aujourd’hui fixé au mur de l’église, au-dessus de la porte de la sacristie. Cette broderie de soie et d’or porte au milieu un Agnus Dei d’argent, avec cette légende : « Manus a deipara paralysi liberata contexuit, obtulit — La main guérie de paralysie par la Mère de Dieu a brodé et offert ce présent» (Maria Sancta Lacensis – Notre-Dame du Laus et la Vénérable Soeur Benoîte- 1895).

Faut-il croire aux miracles ! Je ne sais pas. En tout cas, celui-ci est attesté par l’Église pontificale.

Et ce miracle, dans lequel la bergère du Laus n’intervint que par les prières qui l’invoquaient, est, selon Félix Allemand, un de ceux qui sont considérés comme devant le plus servir à sa canonisation future.

Note: les apparitions de la Vierge Marie au Laus ont été reconnues officiellement par l’Église catholique le 4 mai 2008 et Benoîte Rencurel, dont le procès en béatification est ouvert, a été reconnue « vénérable » par le pape Benoît XVI le 3 avril 2009.

JS

L’élevage a toujours joué un rôle crucial dans l’économie et la vie quotidienne du village de Jarjayes.

Dans cette région semi-montagneuse, caractérisée par des conditions climatiques parfois difficiles et des terres peu propices aux grandes cultures, l’élevage représentait une ressource essentielle pour la subsistance des jarjayaises et jarjayais. L’élevage était un complément essentiel à l’agriculture, dans la mesure où les céréales (blé, orge, avoine, seigle…) ne permettaient souvent pas d’assurer une alimentation suffisante. Il favorisait une certaine autarcie, et les produits dérivés (laine, fromages, peaux) pouvaient aussi être échangés ou vendus dans les marchés locaux ou aux foires organisées à Gap dès le début du 13e s.

Au 10e siècle, les incursions barbares ont été à l’origine de la féodalité. La population de Jarjayes qui avait soif de protection se jeta entre les bras des petits seigneurs locaux, anciens compagnons d’armes des comtes de Provence (Lantelme de Jarjayes, Giraud de Saint-Marcel …), et des représentants du clergé. Le village de Jarjayes auparavant situé dans le quartier de St-Pierre, se délocalisa au 11e siècle sur le rocher plus facile à défendre, appelé plus tard Trechastel où fut bâti un village qualifié de castrum entouré de fortifications.

L’ élevage, comme l’agriculture, était géré selon le régime féodal, avec des paysans soumis à l’autorité des seigneurs locaux ou de l’église, qui possédaient les principales terres agricoles. Les paysans (ou serfs) n’étaient pas libres, ils étaient assujettis aux obligations seigneuriales (redevances, corvées) et vivaient sur les terres d’un seigneur à qui ils devaient jurer fidélité en contrepartie de la protection de celui-ci.

Un texte ancien témoigne de la présence d’un élevage important à Jarjayes. Il s’agit d’un acte de donation de 1190, faite « par Béatrix, dame de Jarjayes, à l’abbaye de Boscaudon et à sa maison du Puy Saint-Maurice, du terroir de Malcor, entre l’Avance et la Durance, voisin de Valserres et de la terre des chanoines de Gap avec la faculté pour cette maison de faire paître de 450 à 600 brebis, ses bœufs et ses vaches sur le terroir de Jarjayes » (Georges de. Manteyer – La Terre de Jarjayes en  Gapençais).

Les quelques paysans locaux qui possédaient à titre personnel du bétail, n’en avaient que quelques têtes et encore étaient-ils tenus de fournir une partie de leur production aux seigneurs, sous forme de redevances ou de corvées.

Les différentes formes d’élevage:

Jusqu’à la première moitié du 20e siècle, tous les habitants de Jarjayes étaient plus ou moins des éleveurs, quasiment toutes les familles disposaient de quelques bêtes, et on trouvait, ça et là, dans les étables situées au rez de chaussée de leur maison , une ou deux chèvres, une vache ou un cochon, des poules et quelques lapins.

Au Moyen Age, l’élevage portait presque exclusivement sur les ovins « l’aver lanut » (l’avoir laineux), pour nos paysans, l’avoir par excellence, c’est le troupeau de moutons, on y adjoint aussi parfois des chèvres.
Les moutons étaient élevés pour leur laine, leur viande, ainsi que pour le lait (transformé en beurre et en fromage).
La laine fournie par l’élevage ovin était filée et tissée dans les foyers ou chez les tisserands. L’eau de la Vance actionnait quelques moulins et paroirs (moulins à foulons spécifiques pour apprêter les tissus) et enrichissait les seigneurs. Les peaux étaient nettoyées et trempées pour éliminer les poils et la chair. Elles étaient ensuite tannées pour empêcher la pourriture et rendre le cuir plus durable.
Le déplacement des troupeaux (transhumance) entre les pâturages d’altitude en été et les zones plus basses en hiver, était une pratique courante.
Les chèvres autrefois considérées comme «les vaches du pauvre», car elles fournissaient du lait tout en étant moins chères et en demandant moins de nourriture qu’une vache, étaient souvent présentes mais elles furent longtemps interdites dans les bois car elles causaient beaucoup de dégâts (une ordonnance de 1731 en interdit la présence sur toute la commune- Mémoire L. Trebillot c. M. Treillard Dumolard 1783) .
«  La sécheresse du climat et le manque de prairies se prêtait mal au développement de l’élevage des bovins . Ceux-ci ne sont guère utilisés que pour les labours (traction des charrues) et quelques charrettes » (Les Hautes-Alpes Hier et aujourd’hui P. Chauvet et P. Pons).

Les porcs étaient élevés principalement pour leur viande transformée en charcuterie pour la conservation, et ils se nourrissaient essentiellement de glands ou de déchets alimentaires.

Bien que moins répandu que les autres formes d’élevage, l’élevage de chevaux était essentiel, particulièrement pour les travaux agricoles, les transports et la guerre. Ils étaient aussi utilisés pour la traction des chariots et des charrettes. Les chevaux étaient surtout détenus par les familles nobles : les seigneurs soutenaient dans la charte de 1276, « pouvoir et être en coutume de prendre l’herbe des prés et l’avoine des fonds des habitants pour nourrir leurs chevaux ». (Mémoire pour les consuls et communauté de Jarjayes contre Sieur Antoine de Reynier 1773).

Les ânes et les mulets étaient plus courants parmi les paysans, utilisés pour le transport de charges dans les terrains escarpés.

La volaille était bien sûr également fortement présente dans les cours des fermes, fournissant œufs et viande, et constituait une contrepartie fréquemment payée par les habitants à l’occasion des fêtes religieuses et notamment à Noël, comme on pouvait le constater dans les reconnaissances faites aux seigneurs locaux pour les terres nobles prises en emphytéose par les paysans ( Georges de Manteyer, La Terre de Jarjayes en Gapençais, Reconnaissances à Noble Jean Flotte en 1553 et à Pierre de St Germain en 1574 – Charte de libertés de 1276 p22 et 25 (bas de page)).

On peut également ajouter à cette liste l’élevage des pigeons qui relevaient souvent d’un privilège seigneurial ; les colombiers étaient des annexes aux châteaux ou maisons fortes.

On trouve une ordonnance relative aux dégats commis par les volailles des habitants dans les champs du seigneur REYNIER de JARJAYES de 1769 qui interdit les possesseurs de « poules et autres volailles de laisser vaquer leurs volailles dans les terres du seigneur  dès que les bleds commencent à grainer jusqu’à ce qu’ils soient moissonnés ». Cela traduit la présence de nombreuses volailles sur les terrains proches des zones habitées et du village.

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Voici comment Thérèse SCLAFERT, historienne et géographe ( 1876-1959) décrit les conditions de l’élevage à Jarjayes dans son ouvrage LA VALLÉE DE L’AVANCE AU MOYEN AGE – XIIIe-XVe siècles, paru dans le « Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes », en 1928.

« Il est difficile de savoir l’importance des troupeaux qui peuplaient les étables des maisons forestières de Jarjayes; En 1429, les paysans de Jarjayes affirmaient que personne (en dehors des coseigneurs) ne récoltait assez de foin pour nourrir une paire de bœufs, mais ils ne disent pas un mot des bêtes à laine. Quelques textes, sans être très explicites, décèlent du moins leur existence. Au milieu du XIIIe siècle (1257) quand les deux mandements de Valserres et de Jarjayes jadis unis se séparèrent, il fut spécifié que les pâturages resteraient communs entre les deux communautés.
Ce souci trahissait évidemment la présence du bétail.
Au lieu d’être unies à la maison d’habitation, l’étable où l’on abritait le bétail, la grange où l’on entassait le foin, avaient émigré dans les forests hors des remparts, parfois assez loin dans la campagne. La petite ville n’eût d’ailleurs pas pu les contenir ».

Au 13e siècle, le système féodal s’adoucit un peu avec la mise en place de chartes d’affranchissement concédant quelques libertés aux communautés et précisant les privilèges accordés aux seigneurs.

La terre de Jarjayes était divisée en plusieurs fiefs ou coseigneuries, ce qui explique naturellement pourquoi les habitants durent obtenir de leurs divers seigneurs plusieurs chartes de libertés en 1259, 1276, 1291 et 1308 (conservées aux archives de l’Isère).

La première charte importante est celle de 1259 par laquelle les seigneurs locaux Arnaud Flotte en son nom et celui de ses neveux Arnaud et Ozasiche, et Reymond et Bertrand, frères, affranchissent les hommes qu’ils ont à Jarjayes de tous services et tailles en contrepartie de nombreuses corvées, charges en nature ou en argent à payer aux seigneurs.

Pour celles qui concernent l’élevage et le bétail , on trouve les articles suivants :

-Le troisième qui impose aux hommes affranchis, « la prestation de six corvées de bœufs pour ceux qui en ont ou de personnes pour ceux qui n’en ont pas, deux aux semailles de printemps pour les transailles (semences de transition qu’on fait entre la récolte du printemps et les semailles d’automne) , deux à la culture de la vigne ou des guerets (terre labourée et non ensemencée) ou ailleurs s’il convient. aux seigneurs, deux aux semailles d’hiver»;
– le sixième article dans lequel il est dit que « si des chevaliers ou autres bons hommes viennent s’héberger chez les seigneurs et ne trouvent pas dans le château de viande à acheter, lesdits seigneurs pourront y prendre des moutons, des bœufs, des porcs, des poules et autres choses nécessaires pour nourrir leurs hôtes, au prix légal payé dans la quinzaine ».
-Il est dit par ailleurs que « les pâturages du château reviennent aux seigneurs à moins qu’ils ne les aient concédés à leurs hommes sous cens annuel; si ceux-ci font des clapiers sur le terroir du château pour y tenir des lapins, les seigneurs auront sur ces lapins les mêmes droits que leurs voisins dans les terres du voisinage. Si leurs hommes prennent des perdrix, lièvres ou d’autres gibiers et veulent les vendre, ils devront d’abord les offrir aux seigneurs et, si ceux-ci ne les retiennent pas, ils pourront les vendre où il leur plaira. Les hommes établiront un pâturage là où ils ont coutume de l’avoir, à charge, pour un trentenier de moutons, de donner un agneau ou, s’ils n’en ont pas trente, une picte (monnaie locale) par brebis ».

« Les agneaux étaient apportés au-château, au moment de Pâques, le bois et les gellines, à la fête de Noël, et les deniers et argent à la feste de Tous les Saints »(mémoire 1773 – p12 –Joseph Roman. Chartes de libertés ou de privilèges de la région des Alpes. -La terre de Jarjayes).

La Charte de 1276 reprend les mêmes dispositions et stipule que les seigneurs pourront exiger «  six corvées des ânes avec l’ânier, deux au temps de la fenaison, deux au temps des vendanges, deux quand il leur plaira; qu’ils s’abstiendront de prendre autrement ces ânes sans la volonté des hommes, sauf s’il en est besoin pour lever le blé des aires ou de le porter au moulin; ils pourront mettre leurs terres en défens « en sorte que les habitants ne pourront y mener paître leur bétail lanu, mais il leur sera libre d’y prendre et ramasser des herbes de toutes espèces » (mémoire p13-14).
Le texte précise que ces concessions sont octroyées en faveur des habitants contre le paiement en nature de plusieurs charges en échange de quoi «  les seigneurs ne doivent ni prendre l’herbe des prairies des habitants, ni y faire paître leurs bœufs et autres bestiaux,ni aller dans leurs granges et en enfoncer les portes pour y prendre du foin » Cet article montre assez avec quelle violence les seigneurs usaient de leurs droits à l’égard des habitants (LTJ – Mémoire 1773 p15).

Pendant tout le Moyen Age, et vraisemblablement jusqu’à la fin de l’ancien régime, la corvée se maintint très onéreuse surtout pour ceux qui tenaient des bœufs et bêtes de somme (Th Sclaffert).

Nous ne traitons ici que des dispositions qui concernent les détenteurs d’animaux mais les charges pesant sur les familles étaient bien plus nombreuses, et malgré quelques concessions, les paysans vivaient dans la misère et ployaient sous le travail, les taxes et corvées, ne disposaient tout juste que de quoi survivre (consulter notre article sur l’évolution de la population de Jarjayes).

En effet, outre les taxes et corvées, les éleveurs devaient aussi faire face à des conditions difficiles et à d’importantes contraintes  :
– les épidémies et maladies animales (épidémies de peste ou de choléra de 1347, 1440, 1720, 1730, 1744…) ;
– les conditions géographiques et climatiques avec des fréquentes périodes de sécheresse l’été, et des hivers rigoureux qui contribuaient à diminuer les stocks de fourrage et engendraient de longues et fréquentes périodes de famines;
– la prédation des loups, qui étaient encore nombreux à l’époque, qui était une préoccupation constante pour les bergers ;
– les conflits de territoires incessants entre seigneuries et plus tard les guerres de religion ont pu aussi affecter les pratiques pastorales, en particulier concernant l’accès aux pâturages. Mais ce sont surtout les longues guerres d’Italie menées entre le 15e et le 17e s, par les souverains et le passage à l’aller comme au retour de leurs troupes qui représentèrent de lourdes charges pour les paysans locaux.

En effet, après la réunion du Dauphiné à la France, les rois (Charles VIII, Louis XII, François 1er et louis XIII) firent de nombreuses campagnes en Italie. Les Hautes-Alpes, unique axe de passage, furent traversées par de puissantes armées et cela n’allait évidemment pas sans dommage pour le pays et ses habitants car un certain nombre de charges devaient être assurées par les autorités et populations locales. « Et puis il y avait les rudes soldats de l’époque qui n’étaient pas des anges, de toutes nationalités, qui ne dédaignaient pas d’arrondir leur solde et leur ordinaire par quelques rapines et qui n’hésitaient pas à se servir sur l’habitant. » (Chroniques Historiques et Légendaires du Dpt de HA et de la Vallée de L’Ubaye -Jacques Vollaire 1979).

En 1513, après la défaite de Novare, « des lansquenets allemands, mercenaires au service de la France, fuyant l’Italie, entrent en force dans le Château de Jarjayes, égorgent le bétail et pillent les greniers » (Les H.A. hier, aujourd’hui, demain -P. Chauvet et P. Pons, p 205).
Cet évènement conduira les nobles Jean Fotte et Jean de Saint-Germain, coseigneurs de Jarjayes, à déposer plainte devant le procureur général delphinal, « contre les gens de Jarjayes qui ont refusé de loger les troupes du Roi Dauphin du corps de Mr d’Aubigny, soit à leur passage de Provence en Lombardie, soit à leur retour, ce qui, par le pillage de leurs maisons, leur a été cause d’une perte de 250 écus d’or, les 300 lansquenets allemands venus de Chorges ayant mangé et bu dans la maison dudit Jean Flotte dix charges de farine de froment, soixante setiers de vin, trois veaux, trois pores, 37 moutons, 8 agneaux d’automne, 5 autres agneaux de printemps, une grande quantité de poules et poulets, une certaine quantité de fromages, après quoi, ils ont cassé tous les meubles »(LTJ p247).

Les gens de Jarjayes seront condamnés par le gouverneur du Dauphiné le 22 décembre 1515 «  à une amende de 20 livres de monnaie envers le trésor delphinal, à une amende de 100 livres envers Jean Flotte, à une amende de 10 livres envers Jean de Saint-Germain et, au surplus, au paiement des frais du procès »(LTJ p267).

Autre contrainte imposée aux paysans et éleveurs, la réglementation par les seigneurs de l’accès aux bonnes terres et aux parcelles boisées par la mise en defens de ces dernières. Auparavant, il était normal de faire paître le bétail en forêt. Mais les troupeaux y causaient des dégâts considérables préjudiciables pour la régénération de la végétation. C’est pourquoi, les seigneurs mettaient fréquemment des parties de leur terres et de leurs bois en defens. (en réserve) et en interdisaient l’accès aux troupeaux afin de les préserver (charte 1276- Mémoire 1773 P14)
« En dehors de sa tenure, qu’il cultivait et transmettait librement comme un véritable propriétaire, le manant était autorisé à mener paître ses bêtes dans les pâturages et à pénétrer dans les forêts du seigneur pour y prendre le bois nécessaire à ses besoins. C’est, devant les empiétements des paysans dont l’avidité irréfléchie mettait en péril l’existence des forêts que les seigneurs de Jarjayes mirent en défens une partie des étendues boisées, voisines du château ou nécessaires à la protection de la terre et à la défense du pays » (Th Sclaffert)

Dans son ouvrage « Histoire de Jarjayes », L’abbé Félix ALLEMAND nous donne un aperçu de cette spécificité sur le territoire de Jarjayes : « Le bois le plus important de Jarjayes était celui de Puy-Cervier, podium Cerverium. La charte de 1259 y accorda aux habitants le droit de pâturage. Ce droit, appelé en basse latinité pathéga , avait fait dénommer le quartier les pathêgues ; comme les seigneurs, dans cette charte, s’étaient réservé le droit de mettre des interdits temporaires, il résulta que la population trouva excessif l’usage qu’ils en faisaient. Dans la sentence arbitrale de 1276, il fut décidé que les seigneurs pourraient mettre en défense Puy-Cervier, Derrière-le-Château, la Cogne, la Pinée et Serre-Roubaud, mais qu’ils n’interdiraient point les autres quartiers dont l’usage avait toujours été libre. Cependant le pâturage continua d’être toujours permis à Puy-Cervier, jusqu’en 1560. A cette date, d’après une transaction, il fut défendu, et on mit la montagne en réserve pour dix ans ; par le même acte, les seigneurs s’interdisaient d’alberger les bois communs. En 1398, d’après le terrier de cette date, le bois de la Rouvière portait le nom de Devès, de Défensum, défense, réserve. En 1608 et 1616, suivant les transactions de ces années, Gaspard de Montauban interdit de conduire des chèvres à Puy-Cervier. En 1736, les taillis de cette montagne se trouvaient en coupe réglée ; on y faisait paître 200 moutons, mais on ne devait point y conduire de chèvres. En 1728, les bois du Four et des Cottes se trouvaient en réserve  »

En 1731 sous l’influence des idées nouvelles, la communauté intenta un procès à l’encontre du seigneur Scipion de Montauban qui souhaitait augmenter les droits et devoirs seigneuriaux et le Parlement de Grenoble donna raison à la communauté (Histoire de Jarjayes F. ALLEMAND et Mémoire pour les consuls de la Communauté de Jarjayes contre sieur Jean-Antoine de Reynier.1773).

En 1762, la communauté excédée par la pression des droits seigneuriaux exigés par M. de Reynier (le père du Chevalier de Jarjayes) entame alors un grand procès relatif aux droits féodaux et les habitants refusent d’acquitter certaines charges féodales. Le procès dura jusqu’à la Révolution (Mémoires pour les consuls et communauté de Jarjayes c/ Sieur Jean-Antoine de Reynier (1773 et 1784) .

La période pré révolutionnaire fut marquée par une grande pauvreté des habitants de Jarjayes
Ce que l’on constate dans les Réponses faites en 1787 par les Communautés de l’élection de Gap au questionnaire envoyé par la Commission Intermédiaire des états du Dauphiné (voir notre article paru en 2020). La Communauté de Jarjayes précise que la quantité de gros et menu bétail de toute espèce s’établit à seulement « 5 paires de bœufs, 8 mulets et quelques bourriques, et environ 4 trenteniers brebis ou moutons, sans y comprendre ceux du seigneur. Elle ajoute que « la cherté des bestiaux et n’avoir de quoi les nourrir sont les causes que beaucoup de particuliers sont dans la misère, même il y en a qui n’ont rien pour semer, faute de capitaux ».

La Révolution française abolira le système féodal et les droits seigneuriaux qui étaient attachés. Elle instilla également aux populations rurales de grands espoirs en l’avenir , mais ceux-ci ne durèrent qu’un temps.
Après les guerres napoléoniennes qui privèrent les campagnes rurales d’un grand nombre d’hommes, l’élevage au XIXᵉ siècle sera marqué par des évolutions économiques, sociales et environnementales.
Jarjayes conservera une population majoritairement rurale jusqu’à la première guerre mondiale mais les progrès de l’industrialisation et l’exode rural provoqueront d’importants changements dans les pratiques agricoles.
Avec le développement de la mécanisation et l’apparition des premières machines, les chevaux et bœufs, autrefois indispensables pour le labour et le transport, sont peu à peu abandonnés. Toutefois, dans nos régions montagneuses, où les terrains sont difficiles, ils restèrent utilisés plus longtemps qu’ailleurs.

En parallèle, l’État met en place des politiques de reboisement dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, notamment grâce à la loi sur le reboisement de 1860. Ces politiques visent à restaurer les forêts et à limiter l’érosion, parfois au détriment des éleveurs, car certaines terres sont fermées à la transhumance (voir notre article sur le village abandonné de Chaudun).
L’état des routes s’améliore, facilitant l’accès aux marchés et la vente des produits agricoles. Les foires agricoles et pastorales, comme celles de Gap, sont des rendez-vous essentiels pour la vente de bétail, de laine et de produits dérivés.
Avec l’arrivée de la voie ferrée à Gap en 1875, les produits de l’élevage (viande, laine) gagnent en accessibilité pour des marchés plus éloignés, notamment en direction des villes industrielles comme Marseille, Grenoble ou Lyon. La laine produite est utilisée dans les filatures locales ou vendue pour alimenter les industries textiles en plein développement.
Les premiers engrais chimiques et les nouvelles races d’animaux sélectionnées améliorent la productivité de l’élevage.
Cependant, cette modernisation reste lente dans notre région reculée des Hautes-Alpes, où les exploitations sont souvent de petite taille et manquent de capitaux.
La première guerre mondiale marquera une transition pour l’élevage comme pour l’agriculture.
La Grande Guerre (1914-1918) a vidé les campagnes de nombreux hommes, tués au front ou blessés, réduisant ainsi la main-d’œuvre agricole. Beaucoup de jeunes paysans ne sont pas revenus dans leurs villages, accentuant un vieillissement de la population rurale et un déséquilibre démographique. Très souvent, les femmes prennent en charge les exploitations agricoles en l’absence des hommes. Elles s’occupent des animaux, de la gestion des terres et du commerce des produits fermiers (lait, fromages, viande).

Pendant l’entre-deux guerres et après la 2ème guerre mondiale, l’exode rural s’accentue et devient massif. Jarjayes se vide progressivement (l’évolution de la population de Jarjayes). De nombreuses familles quittent le village pour les villes, réduisant la main-d’œuvre disponible pour l’élevage. De petites exploitations disparaissent, faute de repreneurs.
Entre 1851 (510 habitants) et 1968 (210 habitants), Jarjayes a perdu les 3/5e de ses habitants.
Les années 1950-1960 marquent la disparition quasi totale des chevaux et bœufs de trait, remplacés définitivement par les tracteurs et autres machines agricoles modernes. Cette modernisation et l’émergence d’un élevage plus spécialisé, permettent d’augmenter les rendements de la production de lait et de viande, mais elle favorise les grandes exploitations capables d’investir dans du matériel coûteux, au détriment des petits éleveurs qui disparaissent progressivement.

JS

Pour compléter cet article, un deuxième volet portant sur l’élevage à Jarjayes pendant les 70 dernières années (période d’après-guerre à nos jours) paraîtra prochainement sur notre site.

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1 Commentaire

  1. Philippe Bellemin-Noel

    Bravo pour cet article sur la « miraculée » de Jarjayes. Très intéressant et documenté.

    Réponse

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