Nous ne traitons ici que des dispositions qui concernent les détenteurs d’animaux mais les charges pesant sur les familles étaient bien plus nombreuses, et malgré quelques concessions, les paysans vivaient dans la misère et ployaient sous le travail, les taxes et corvées, ne disposaient tout juste que de quoi survivre (consulter notre article sur l’évolution de la population de Jarjayes).
En effet, outre les taxes et corvées, les éleveurs devaient aussi faire face à des conditions difficiles et à d’importantes contraintes :
– les épidémies et maladies animales (épidémies de peste ou de choléra de 1347, 1440, 1720, 1730, 1744…) ;
– les conditions géographiques et climatiques avec des fréquentes périodes de sécheresse l’été, et des hivers rigoureux qui contribuaient à diminuer les stocks de fourrage et engendraient de longues et fréquentes périodes de famines;
– la prédation des loups, qui étaient encore nombreux à l’époque, qui était une préoccupation constante pour les bergers ;
– les conflits de territoires incessants entre seigneuries et plus tard les guerres de religion ont pu aussi affecter les pratiques pastorales, en particulier concernant l’accès aux pâturages. Mais ce sont surtout les longues guerres d’Italie menées entre le 15e et le 17e s, par les souverains et le passage à l’aller comme au retour de leurs troupes qui représentèrent de lourdes charges pour les paysans locaux.
En effet, après la réunion du Dauphiné à la France, les rois (Charles VIII, Louis XII, François 1er et louis XIII) firent de nombreuses campagnes en Italie. Les Hautes-Alpes, unique axe de passage, furent traversées par de puissantes armées et cela n’allait évidemment pas sans dommage pour le pays et ses habitants car un certain nombre de charges devaient être assurées par les autorités et populations locales. « Et puis il y avait les rudes soldats de l’époque qui n’étaient pas des anges, de toutes nationalités, qui ne dédaignaient pas d’arrondir leur solde et leur ordinaire par quelques rapines et qui n’hésitaient pas à se servir sur l’habitant. » (Chroniques Historiques et Légendaires du Dpt de HA et de la Vallée de L’Ubaye -Jacques Vollaire 1979).
En 1513, après la défaite de Novare, « des lansquenets allemands, mercenaires au service de la France, fuyant l’Italie, entrent en force dans le Château de Jarjayes, égorgent le bétail et pillent les greniers » (Les H.A. hier, aujourd’hui, demain -P. Chauvet et P. Pons, p 205).
Cet évènement conduira les nobles Jean Fotte et Jean de Saint-Germain, coseigneurs de Jarjayes, à déposer plainte devant le procureur général delphinal, « contre les gens de Jarjayes qui ont refusé de loger les troupes du Roi Dauphin du corps de Mr d’Aubigny, soit à leur passage de Provence en Lombardie, soit à leur retour, ce qui, par le pillage de leurs maisons, leur a été cause d’une perte de 250 écus d’or, les 300 lansquenets allemands venus de Chorges ayant mangé et bu dans la maison dudit Jean Flotte dix charges de farine de froment, soixante setiers de vin, trois veaux, trois pores, 37 moutons, 8 agneaux d’automne, 5 autres agneaux de printemps, une grande quantité de poules et poulets, une certaine quantité de fromages, après quoi, ils ont cassé tous les meubles »(LTJ p247).
Les gens de Jarjayes seront condamnés par le gouverneur du Dauphiné le 22 décembre 1515 « à une amende de 20 livres de monnaie envers le trésor delphinal, à une amende de 100 livres envers Jean Flotte, à une amende de 10 livres envers Jean de Saint-Germain et, au surplus, au paiement des frais du procès »(LTJ p267).
Autre contrainte imposée aux paysans et éleveurs, la réglementation par les seigneurs de l’accès aux bonnes terres et aux parcelles boisées par la mise en defens de ces dernières. Auparavant, il était normal de faire paître le bétail en forêt. Mais les troupeaux y causaient des dégâts considérables préjudiciables pour la régénération de la végétation. C’est pourquoi, les seigneurs mettaient fréquemment des parties de leur terres et de leurs bois en defens. (en réserve) et en interdisaient l’accès aux troupeaux afin de les préserver (charte 1276- Mémoire 1773 P14)
« En dehors de sa tenure, qu’il cultivait et transmettait librement comme un véritable propriétaire, le manant était autorisé à mener paître ses bêtes dans les pâturages et à pénétrer dans les forêts du seigneur pour y prendre le bois nécessaire à ses besoins. C’est, devant les empiétements des paysans dont l’avidité irréfléchie mettait en péril l’existence des forêts que les seigneurs de Jarjayes mirent en défens une partie des étendues boisées, voisines du château ou nécessaires à la protection de la terre et à la défense du pays » (Th Sclaffert)
Dans son ouvrage « Histoire de Jarjayes », L’abbé Félix ALLEMAND nous donne un aperçu de cette spécificité sur le territoire de Jarjayes : « Le bois le plus important de Jarjayes était celui de Puy-Cervier, podium Cerverium. La charte de 1259 y accorda aux habitants le droit de pâturage. Ce droit, appelé en basse latinité pathéga , avait fait dénommer le quartier les pathêgues ; comme les seigneurs, dans cette charte, s’étaient réservé le droit de mettre des interdits temporaires, il résulta que la population trouva excessif l’usage qu’ils en faisaient. Dans la sentence arbitrale de 1276, il fut décidé que les seigneurs pourraient mettre en défense Puy-Cervier, Derrière-le-Château, la Cogne, la Pinée et Serre-Roubaud, mais qu’ils n’interdiraient point les autres quartiers dont l’usage avait toujours été libre. Cependant le pâturage continua d’être toujours permis à Puy-Cervier, jusqu’en 1560. A cette date, d’après une transaction, il fut défendu, et on mit la montagne en réserve pour dix ans ; par le même acte, les seigneurs s’interdisaient d’alberger les bois communs. En 1398, d’après le terrier de cette date, le bois de la Rouvière portait le nom de Devès, de Défensum, défense, réserve. En 1608 et 1616, suivant les transactions de ces années, Gaspard de Montauban interdit de conduire des chèvres à Puy-Cervier. En 1736, les taillis de cette montagne se trouvaient en coupe réglée ; on y faisait paître 200 moutons, mais on ne devait point y conduire de chèvres. En 1728, les bois du Four et des Cottes se trouvaient en réserve »
0 commentaires